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    mardi 2 janvier 2018

    Filière datte vue par MOHAMED RIDHA MESSAK

    MOHAMED RIDHA MESSAK, EXPERT ET ENSEIGNANT CHERCHEUR, À L'EXPRESSION

    "Il y a une insuffisance de connaissance relative à la filière"


    Par SOURCE

    L'expert Mohamed Ridha Messak est enseignant chercheur et expert agro-économiste, membre du groupe international sur les filières (Agri Benchmark Horticulture) et dans plusieurs projets de recherche sur la filière dattes en Algérie et au Maghreb (Valuedatte et TeamValue projects), membre du conseil d'administration de la Chambre d'agriculture de Biskra (2005-2016) répond aux questions de l'Expression.



    L'Expression: Quel diagnostic faites-vous sur les enjeux de la co-régulation des marchés (intérieur et d'exportation) des dattes en Algérie. Peut-on dire que les professionnels de la filière dattes n'arrivent pas à développer une nouvelle approche d'exportation?
    Mohamed Ridha Messak: Quand la régulation est basée sur un système d'information peu fiable, lorsque les statistiques des prix sont prélevées de manière non systématique, lorsqu'on ignore les coûts de production, et quand le marché est influencé par une frange d'informels (malgré leur service rendu à la filière), lorsqu'un produit n'a pas de système de traçabilité, on arrive à un prix dix fois supérieur au coût de revient (le coût sur le marché de gros) avec parfois, de mauvaises surprises en termes de qualité. L'administration n'est pas encore préparée à réguler le marché (il suffit de voir les fluctuations des prix des produits à large consommation, comme la tomate et la pomme de terre ainsi que l'échec du cyrpalac pour comprendre la crise de régulation chez nous).
    Lorsque le prix sur le marché domestique (national) croît plus rapidement que celui du marché international, cela mène vers une perte de compétitivité-prix. S'ajoute à cela un contexte marqué par des exportateurs peu organisés, à faible capacité de négociation, face à un environnement rigide et une concurrence parfois déloyale.
    Les dattes exportées représentent 3% du total de la production nationale (plus de 50% pour la Tunisie). L'Etat a testé plusieurs initiatives pour bouleverser cette situation, mais les résultats sont insatisfaisants (31.000 tonnes de dattes exportées pour un montant de 37,5 millions de dollars en 2016, alors que l'objectif officiel est d'atteindre 100.000 tonnes et 100 millions de dollars en 2019).
    Les exportateurs se sont toujours concentrés sur le marché français (pour des raisons historiques et à cause de la proximité géographique et linguistique), alors que le marché potentiel de la datte est plutôt ethnique (largement lié à la présence musulmane). Ce n'est que récemment que certains exportateurs ont commencé à se développer dans cette perspective. En tout cas, toute stratégie de positionnement mérite d'être bien étudiée.

    Vous ne pensez pas que le temps est venu pour que la filière dattes fasse son état des lieux et insuffle la filière par une nouvelle dynamique organisationnelle en mettant en place un organisme interprofessionnel susceptible d'enclencher le processus d'exportation de façon massive?
    Il y a une insuffisance de connaissance relative à la filière, car elle est très peu prospectée par la recherche. En Algérie, il n'y a pas encore un institut de recherche dédié exclusivement à la phoeniciculture, il y a un observatoire des filières (siège à l'Inraa-Alger), qui mérite d'être renforcé, car il est à son début.
    Il est aussi important de réaliser des études de benchmarking, pour montrer aux décideurs et acteurs, comment les meilleurs de l'export sont devenus les meilleurs sur le marché international, afin de développer de bonnes pratiques dans l'export. Ce type d'études a été utilisé par les industriels américains pour contrer la supériorité japonaise. Il ne s'agit pas pour nous de réinventer la roue... loin de là!
    Faire l'état des lieux de tous les segments de la filière est une exigence permanente. Mais pour être bref, je dirais, que ma présence sur le terrain des acteurs m'a permis d'arriver à l'idée que la filière est dominée par le phénomène du formalisme, c'est-à-dire, dans la forme tout est bien, mais dans le fond il y a du vide (peu de dynamisme et d'initiatives).
    Dans la forme organisée, il y a une Chambre de l'agriculture, une interprofession, des associations (pour les producteurs, les exportateurs...etc.), mais comme dit l'adage algérien, «ô belle de l'extérieur, comment ça se passe dedans!» «Ya lemzawek men bara, wech hwalek men dakhel!».
    Je pense que la filière et l'agriculture algérienne a besoin d'une révision profonde, partant de l'idée que l'exploitation agricole est une entreprise agricole familiale (du moins pour dépasser l'image du fellah, l'homme pauvre illettré et enfermé sur son monde). Il est temps de faire de l'agriculture avec des agronomes, de moderniser l'administration et responsabiliser les acteurs (la responsabilisation passe par la participation effective à la conception des solutions). Réformer l'économie agricole de l'Algérie est incontournable pour diversifier l'économie nationale et développer l'exportation hors hydrocarbures.
    Les enjeux et les procédures d'exportation des dattes, sont confrontés au problème de la labellisation.

    Est-ce que les spécialistes de la filière et ses promoteurs éprouvent un manque en matière de développement de la sécurité sanitaire des dattes? Est-ce que c'est la responsabilité uniquement des opérateurs économiques de la filière?
    «Nous sommes ce que nous mangeons», dit le proverbe! L'accès à une nourriture de qualité, saine et nutritive est depuis toujours et restera, une préoccupation de l'humanité. Faute de quoi, on est exposé à un éventail de risques en matière de qualité et d'innocuité des aliments. Cette idée est largement partagée par nos producteurs et exportateurs de dattes, mais beaucoup reste à construire, car convaincre les clients, uniquement par des dires est insuffisant, il faut être certifié et garantir la qualité par un acte.
    En Algérie nous avons un faible niveau de certification de conformité produit (comme les produits biologiques) pas d'organismes certificateurs dans le bio et une faible infrastructure technique (manque de laboratoires accrédités au service de l'export), d'après ce qu'on sait, aucune unité de conditionnement-exportation n'est certifiée (iso 22000, IFS, BRC,..), avec une telle situation, comment peut-on alors booster l'export?
    Des ressources non négligeables (publiques ou dans le cadre de la coopération internationale) ont été dépensées pour mettre à niveau les entreprises agro-alimentaires, mais l'état de l'économie laisse encore à désirer!

    Les acteurs de la filière soulèvent la problématique de certification, de normes de commercialisation et de promotion de la datte algérienne. Pouvez-vous nous expliquer ce genre d'entrave et pourquoi nos voisins ont dépassé ces étapes?
    Comprendre les clés de réussite de nos voisins, nécessite une étude benchmarking. Une chose est claire, nos voisins ont compris que la modernisation de l'agriculture est stratégique pour créer de la richesse. Probablement, ce choix s'est imposé à eux car ils n'ont pas eu de rente pétrolière. Par exemple, la Tunisie qui produit l'équivalent de la moitié de ce que produit Biskra, exporte trois fois plus de dattes que l'Algérie, en ciblant entre autres, les marchés africains et asiatiques, sa stratégie s'est appuyée sur l'efficacité diplomatique (la négociation des marchés exclusifs) et une forte présence dans les foires internationales, ce qui permet une croissance annuelle des exportations de 20%, avec un intérêt particulier à la datte biologique (certains organismes certificateurs internationaux ont des bureaux en Tunisie).

    La phoeniciculture fait face à plusieurs formes de laisser-aller, voire de dégradation en termes de promotion et de consolidation de cette filière. Quelles sont les solutions d'urgence pour sauvegarder ce patrimoine?
    La culture du palmier-dattier (la phoeniciculture) joue un rôle socio-économique et écologique stratégique dans le développement durable des oasis, en créant un microclimat favorable à la vie de l'homme, de ses cultures et de son cheptel, en lui permettant de se maintenir dans un milieu rural, désertique et hostile, permettant aux producteurs d'exploiter les strates inférieures de leurs palmeraies, pour pratiquer d'autres spéculations sous-jacentes (arbres fruitiers, légumes, fourrages, cultures condimentaires, élevages). Cette culture offre une base pour développer une industrie agro-alimentaire locale, viable et développable, dans les régions sahariennes.
    La performance et la compétitivité durable de la filière dattes exigent de réussir un certain nombre d'enjeux, tels que:
    - l'organisation de la filière, dépasser l'état du formalisme (forme organisée qui fait désorganisé)) ainsi que la maîtrise de l'informel;
    - la qualité (certification et ses exigences en termes de laboratoire et institutions);
    - l'économie d'eau (en réponse à l'insécurité hydrique menaçant certaines régions);
    - la mécanisation des itinéraires techniques en réponse à la raréfaction de la main-d'oeuvre (jusqu'ici, peu d'innovations sont proposées aux exploitations agricoles);
    - la protection phytosanitaire cohérente avec les exigences des marchés et la vulnérabilité écosystémique;
    - l'adaptation au changement climatique (phénomène de plus en plus ressenti par les paysans et les professionnels avec ses impacts sur les rendements et la qualité des dattes);
    - la conservation de la biodiversité variétale (l'érosion génétique du dattier est désormais alarmante, alors que plusieurs variétés ont de fortes capacités d'adaption);
    - la bio-économie phoenicicole et le développement soutenu des industries agro-alimentaires à base de produits phoenicicoles. Sans oublier d'adopter des énergies renouvelables (le solaire du Sahara).
    Et surtout, bien valoriser la nouvelle opportunité de la filière dattes en Algérie, celle de l'indication géographique IG datte Deglet-Nour de Tolga, car, elle constitue une mini-filière organisée et compétitive.

    1 commentaire:

    1. Pour la sécurité sanitaire des dattes, plusieurs unités de conditionnement-exportation sont certifiées (iso 22000, IFS,..).mais cela reste insuffisant à mon avis.

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