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    mardi 10 décembre 2019

    Lutte contre les ravageurs/Innovations

    Quand l’intelligence artificielle optimise la lutte biologique contre les ravageurs

    15/11/2019 - Article
    Réguler les ennemis des cultures par leurs prédateurs naturels nécessite d’identifier précisément leurs interactions. Tel est l’objectif du dispositif de reconnaissance Corigan développé par des chercheurs du Cirad, une approche inédite d’intelligence artificielle pour étudier les communautés d’insectes. La méthode, testée avec succès au Costa-Rica, associe un système de détection visuelle issu de l’apprentissage profond (Deep learning).
    Le fonctionnement d’un écosystème repose sur les relations complexes entre les espèces qu’il héberge. L’étude de ces interconnexions est notamment cruciale pour mettre au point des stratégies de lutte biologique efficaces à l’égard de certains insectes ravageurs. Or les techniques d’échantillonnage employées jusqu’ici pour comprendre ces interactions ne donnent pas entière satisfaction. « Elles reposent par exemple sur l’analyse moléculaire du contenu stomacal d’invertébrés et ne permettent pas de discriminer le comportement de prédation de celui de charognard, ou bien encore de rendre compte d’éventuelles formes de coopération entre individus  », illustre Dominique Carval, chercheur en agroécologie au Cirad spécialisé en programmation informatique.

    L’analyse d’image pour entraîner un algorithme d’apprentissage

    Dispositif de prise de vue installé au Costa-Rica. Les images entraînent un algorithme d’apprentissage pour identifier les espèces susceptibles d’interagir avec le charançon du bananier © D. Carval, Cirad
    Pour s’affranchir de ces biais d’analyse, les scientifiques ont mis au point une méthode permettant d’observer directement le comportement de la macrofaune d’un écosystème à travers l’analyse d’images. La première étape de ce travail a consisté à documenter in situ le comportement d’un éventail d’espèces vis-à-vis d’un bioagresseur cible. Pour cela, les chercheurs se sont focalisés sur un système agroforestier costaricain sur lequel sévit le charançon du bananier (Cosmopolites sordidus). À l’échelle de trois emplacements d’une superficie de 200 cm2, l’équipe a réalisé durant trois nuits des séries de photographies très rapprochées après y avoir déposé des cadavres de charançons, des larves vivantes ou des phéromones destinées à attirer les charançons présents dans l’écosystème. Quelque 1800 images ainsi compilées ont été utilisées pour identifier les représentants de la macrofaune d’invertébrés susceptibles d’interagir avec le charançon du bananier.

    90 % des espèces identifiées correctement

    « Après avoir identifié les différentes espèces observées, nous avons utilisé une partie de ce jeu de données pour entraîner un algorithme d’apprentissage* conçu pour reconnaître et caractériser des objets de très petite dimension  », explique Paul Tresson, doctorant au Cirad et au Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier dont la thèse est labellisée #DigitAg. Une fois l’algorithme d’apprentissage éprouvé, les chercheurs lui ont ensuite soumis des séquences d’images inédites afin de tester sa capacité de discrimination. Résultat : près de 90 % des invertébrés présents sur les clichés ont été identifiés correctement. Le niveau de précision de la méthode s’est par ailleurs révélé suffisamment élevé pour caractériser les différents types d’individus au sein d’une même espèce. Confronté à des fourmis, l’algorithme a par exemple été capable de distinguer une ouvrière d’un soldat.
    Sur cette image, Corigan détecte la prédation d’une larve de charançon par les fourmis ouvrières et les soldats de l’espèce Pheidole radoszkowskii. Plus bas, une blatte s’attaque elle aussi à une larve de charançon, initialement cachée dans un morceau de bananier © D. Carval, Cirad

    Vers une régulation naturelle plus efficace

    Ces travaux ont permis d’esquisser une première cartographie des interactions entre le charançon du bananier et les autres espèces de l’écosystème agricole. « Outre le rôle clé que semblent jouer les fourmis dans la régulation de ce bioagresseur, nous avons pu mettre en évidence des connexions insoupçonnées comme des actes de prédation de la part de certaines blattes  », précise Dominique Carval. En poursuivant leurs investigations sur le terrain et en laboratoire, les chercheurs entendent désormais caractériser plus finement la nature et l’impact des relations de prédation, de coopération ou de répulsion que chaque espèce entretient avec le charançon du bananier afin de mettre en place une régulation naturelle plus efficace de cet insecte ravageur des bananeraies.
    * La méthode d’apprentissage automatique employée repose sur des réseaux de neurones convolutifs tels que ceux permettant aux voitures autonomes de détecter les piétons et autres obstacles potentiels.

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